Ma chère Cunégonde,
J’attends de tes nouvelles et toujours rien. Tu n’as pas trouvé un moment pour m’écrire ? Franchement, là, je ne comprends pas trop. Es-tu encore de ce monde ? Bien que j'exerce ma patience depuis la naissance de ma descendance, c'est pas encore top, je suis du genre stressée qui veut que tout soit fait de suite. Mais je me sermonne quelque peu et je me dis qu'il n'y a probablement pas que moi qui compte dans ton monde. Et je sais que tout le monde ne fonctionne pas comme moi, je l'apprends chaque jour.
Bref, je t'écris car j'avais besoin d'épancher toutes ces émotions qui tressaillent à l'intérieur de moi... qui tressaillent ? Plutôt qui explosent. Tu te souviens de ce jeu de l'époque de notre jeunesse avec lequel on jouait quand on allait boire un pot : un flipper ? Eh ben j'ai l'impression que plein de ces boules virevoltent en moi. Il suffit que je pense au sujet du moment pour que je sois toute tourneboulée et que ça s'entrechoque en moi.
Oui, on approche du terme ! Fiston 1er sera papa ces prochains jours ! Oui oui ! Je dois en plus me rappeler que ce bébé qui vient n'est pas le mien, mais à ce jeune couple qui vient de naître ! Parfois je doute d'y arriver.
S'ils ne répondent pas rapidement à mes messages WhatsApp, mon imagination s'envole, et je les imagine à la maternité, fébriles, elle le monitoring autour du ventre, les yeux fixés sur l'écran guettant la prochaine contraction. Lui, se réjouissant comme un fou mais, au fil des heures voyant sa dulcinée faire quelques grimaces de douleur, qui réfléchit comme la soulager quelque peu... et tombant bien souvent à côté, se faisant fusiller du regard par celle qui lui a promis amour pour l'éternité. Je les imagine alors, en face de la sage-femme qui déclare haut et fort : bon, 8 cm, c'est le moment d'aller en salle d'accouchement ! Puis je l'imagine, ma belle-fille poussant de toutes ses forces et bébé plein de cheveux qui vient au monde, Fiston 1er pleurant d'émotion essayant de couper le cordon (ohhh, c'est plus dur que je ne pensais)... puis bébé dans leurs bras, tout nu-tout gluant, le plus beau bébé du monde...
Et pendant que mon cerveau s'emballe, je tiens toujours mon Smartphone dans mes mains, voilà déjà deux heures et ils ne m'ont pas répondu... non, franchement, ehhhh, n'oubliez pas de m'avertir, hein, quand bébé sera là ! Je les imagine, n'ayant d'yeux que pour bébé, oubliant totalement que les grands-mémés, les tatas, les tontons, et les grands-pépés (ne les oublions pas) existent et trépignent d'impatience !
Tout à coup, un message : oui oui, on était en montagne, c'était top !
Et voilà que je lâche les manettes du flipper, les boules retombent.. Cling–Clang–Clong... en montagne ? Quand ils étaient sensés être en salle d'accouchement ? Non mais, ils se fichent de moi ?
Mon smartphone est collé à moi. Nuit. Jour. C'est mon meilleur ami. Je bats les records d'activation de mon phone. Je ne connais plus le "mode avion". J'angoisse même d'aller à la douche : ils vont forcément m'appeler à ce moment-là pour m'annoncer la grande nouvelle. Mais j'y arrive, je veux être sous un beau jour pour le premier regard de bébé posé sur moi ! 30 secondes et je suis rutilante de propreté !
Il m'arrive de ne plus y penser quelques minutes (si si) mais c'est à ce moment-là que je croise des collègues ou amies qui s'esclaffent :
– Alors, déjà mémé ? alors, comment ça va la future mémé ? C'est pour quand déjà ?
– Mais pour ces jours ! J'en peux plus... je pensais jamais que je deviendrais pareillement gaga, franchement, un truc de fou ! J'en peux pluuuuuuuuus...
Je deviens mémé et je ne sais pas ce que ça va donner. Ça m'inquiète. Je m'inquiète.
Oh, ma chère Cunégonde, j'ai lâché tout le tréfonds de moi, là. Je ne sais pas ce que tu en penses. J'imagine que tu devras bien réfléchir avant de me répondre sagement pour un peu apaiser mes boules de flipper.
Oh oui, je prie, je prie que le Seigneur dirige tout pour l'accouchement, et qu'Il me donne la patience, mais tu as vu, c'est pas gagné. Je repense toujours à cette phrase lue quelque part il y a bien... 20 ans : Seigneur, donne-moi la patience, mais tout de suite ! Ben il n'a pas exaucé ma prière, mais me donne depuis sans arrêt des raisons de m'y exercer... ou c'est sa façon d'exaucer ma prière... (comme par exemple l'attente impatiente de ta réponse, hein).
Je ne t'écrirai plus avant que tu me répondes, ok ? Et j'espère avoir muté mémé quand je te lirai.
A bientôt, j'espère !
Sarah
PS : la carte sur laquelle je t'écris, ben euh, que dire... c'est une photo de chez moi. Il était écrit HIVER sur l'ardoise, et comme ma famille (ou ce qui me reste vivant ici) ne voulait plus entendre parler de cette saison, et qu'on n'est pas encore au printemps, j'ai écrit la première chose qui m'est venue à l'esprit. Oui, je sais, ça aggrave mon cas.
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